
C’est une photo en noir et blanc, abimée, retrouvée dans l’album familial. Deux enfants sont photographiés devant la fenêtre d’une cuisine. A gauche, une petite fille, vêtue d’une robe imprimée, porte sur sa tête une couronne argentée que l’on distingue à peine dans le flot lumineux du contrejour. A droite, un jeune garçon, main accrochée à la ceinture, nous regarde en souriant.
C’est la photo d’un bonheur simple et banal suspendu dans le temps.
Au dos, ma mère a écrit: Les rois, 1973.
En ce temps-là, ma soeur et moi étions, sans le savoir, les rois d’une existence insouciante, d’une vie ordinaire qui s’écoulait naturellement et semblait éternelle. Je ne pouvais imaginer, qu’un matin d’août 1973, deux policiers viendraient nous annoncer la mort de mon père, tué par une chute de séracs alors qu’il s’engageait sur un glacier en haute montagne.
Ce drame a bouleversé nos vies. Ayant perdu « le grand Amour de sa vie », ma mère ne s’est jamais remariée. Après notre départ du foyer familial, elle s’est peu à peu retirée du monde pour mener une existence solitaire. Sa maladie s’est déclarée il y a dix ans. Les hallucinations visuelles, les pertes de lucidité et les errances à travers la ville sont entrées progressivement dans sa vie. Ma mère vit aujourd’hui dans un monde étrange, sans passé ni futur, privée de sa mémoire et de ses souvenirs.
Série de 10 planches de 4 images, présentée dans le cadre de l’exposition collective « Les creux », Atelier des regards, novembre 2024, Lyon 1er.

